GAËLLE VARKAS, RHUMATOLOGUE, ET TRIANA LOBATON, GASTRO-ENTÉROLOGUE :
" Notre objectif est de contrôler la maladie "
Le psoriasis est surtout connu comme maladie de la peau. Pourtant, en tant qu’affection auto-immune, il peut aussi toucher d’autres parties du corps. Il existe en effet un lien avec certaines maladies chroniques de l’intestin et des formes d’arthrite. Pour éviter toute atteinte irréversible, il est crucial d’établir un diagnostic précis et de prendre en charge simultanément tous les symptômes induits par l’hyperactivité du système immunitaire. C’est dans cet esprit que la rhumatologue Gaëlle Varkas et la gastro-entérologue Triana Lobaton travaillent en étroite collaboration à l’hôpital universitaire de Gand (UZ Gent).
Beaucoup de gens ne feront pas spontanément le lien entre des problèmes intestinaux ou articulaires et le psoriasis. Quel est le rapport ?
Dr. Lobaton : C’est un phénomène complexe, mais à la base, il y a un système immunitaire trop actif. Cela s’explique d’une part par le fait que certaines personnes naissent avec un ou plusieurs gènes défectueux, et d’autre part par certains facteurs environnementaux qui activent ces défauts à un moment donné. La forme précise que prend la maladie dépend de l’endroit où se trouvent les gènes défectueux et le psoriasis peut alors apparaître, mais les patients peuvent aussi souffrir de maladies inflammatoires chroniques des articulations, comme l’arthrite psoriasique, ou de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme la colite ou la maladie de Crohn, voire d’une combinaison de plusieurs de ces maladies.
Dr. Varkas : Selon les statistiques, environ un tiers des personnes atteintes de psoriasis développeront aussi une arthrite psoriasique. Quelque 5% des personnes souffrant de cette forme de rhumatisme ont également une MICI – acronyme de maladie inflammatoire chronique de l’intestin. C’est un pourcentage bien plus élevé que dans la population générale. En outre, près de la moitié des personnes atteintes de MICI développeront un jour une inflammation en dehors de l’intestin. Les articulations et la peau sont alors les plus souvent touchées, mais cela peut aussi concerner le foie, le cœur, les reins ou les yeux.
Tous ces symptômes proviennent donc de l’inflammation intestinale, mais quelle en est l’origine ?
Dr. Lobaton : L’élément qui déclenche cette réaction inflammatoire n’est pas clairement identifié, mais nous savons que, outre la prédisposition génétique, des facteurs environnementaux comme la pollution, le stress, les infections ou le tabac peuvent être des déclencheurs. Le résultat est toujours un système immunitaire suractivé qui attaque certaines parties du corps.
Dr. Varkas : Puisque la cause est similaire, certains traitements des symptômes dermatologiques, intestinaux et articulaires le sont aussi. Leur objectif est d’apaiser le système immunitaire pour qu’il cesse de réagir de manière excessive. Les traitements que nous proposons ramènent l’activité incontrôlée du système immunitaire à son niveau de base. On ne le neutralise donc pas complètement – c’est un malentendu tenace – et, en cas d’infection, il reste capable de réagir pour la combattre.
Les patients atteints de psoriasis reçoivent-ils les mêmes médicaments que ceux souffrant de maladie de Crohn ou d’arthrite psoriasique ?
Dr. Varkas : Pas avec les médicaments ou les thérapies qui visent à traiter les symptômes locaux, comme les crèmes ou les pommades, bien entendu. Mais en ce qui concerne les médicaments qui ciblent le système immunitaire pour lutter contre l’inflammation dans le corps, certains sont communs, d’autres sont spécifiques à un organe. Autrefois, nous avions un seul traitement qui servait pour tout, mais il n’était pas efficace pour tout le monde. Aujourd’hui, nous disposons d’une large gamme de médicaments beaucoup plus puissants, mais il faut les ajuster avec précision en fonction des cellules qui sont suractivées. C’est pourquoi il est important de bien collaborer avec les autres spécialistes.
Dr. Lobaton : Nous dépistons activement, et même de manière proactive, d’autres affections : l’idéal est d’avoir une approche aussi systématique que possible, avec une série de questions standardisées. Ici à l’UZ Gent, nous menons actuellement une étude dans laquelle chaque nouveau patient atteint de MICI est également examiné par un rhumatologue.
Vous avez mentionné que des facteurs environnementaux peuvent activer à la fois le psoriasis et les maladies associées des articulations et des intestins. Est-ce que notre mode de vie joue un rôle dans l’apparition de ces maladies ?
Dr. Lobaton : Oui, en effet un style de vie sain (ou malsain) a un impact. C’est pourquoi nous encourageons une approche holistique. Cela veut dire travailler systématiquement en équipe entre spécialistes, mais aussi sensibiliser les patients à leur mode de vie. Manger équilibré, éviter la viande rouge et les sucres, ainsi que les additifs, limiter l’alcool, ne pas fumer, maintenir un poids sain, faire de l’exercice… Tout cela aide. Le tabac surtout : chez les personnes atteintes. de la maladie de Crohn, fumer aggrave vraiment l’évolution de la maladie. Et ce mode de vie sain diminue aussi les risques de maladies cardiovasculaires et de cancer, qui sont plus élevés chez les patients atteints de maladies inflammatoire.
Dernière question. Le psoriasis, les MICI et l’arthrite psoriasique sont des maladies chroniques qui peuvent peser lourd sur le quotidien. Quel message donnez-vous à vos patients ?
Dr. Varkas : Beaucoup de mes patients sont jeunes – entre 30 et 50 ans – quand on pose le diagnostic. Je leur dis d’abord que ce n’est pas anormal à leur âge. Et surtout, je les rassure: il existe aujourd’hui beaucoup de traitements, on peut bien vivre avec la maladie. Il faut parfois un peu de temps pour trouver le bon traitement, mais on y arrive.
Dr Lobaton : Je leur déconseille fortement de faire des recherches sur internet, car on y trouve beaucoup de fausses informations. Et je leur explique que même si les symptômes disparaissent, il faut continuer le traitement. On ne peut pas guérir ces maladies, mais on peut les garder sous contrôle et mener une vie normale.
Dr Varkas : Et j’insiste sur l’importance du dialogue. Il ne faut jamais hésiter à poser des questions. Nous sommes là pour les aider, et nous suivons de près les avancées médicales et nous poursuivons ensemble le même objectif : contrôler la maladie.

